Les facteurs favorisant l’application des connaissances

Ces déterminants peuvent être classés en sept grandes catégories : (1) contexte social et politique; (2) mobilisation des organisations; (3) capacité des partenaires de la pratique; (4) mobilisation de l’équipe de recherche; (5) capacité des chercheurs; (6) relations entre chercheurs et partenaires de la pratique et (7) qualité des connaissances.

1. Contexte social et politique

La recherche montre que deux types de déterminants liés au contexte social et politique sont associés à l’application des connaissances et l’atteinte de retombées. D’une part, il est démontré qu’un contexte économique et politique favorable facilite la mise en oeuvre de stratégies pour soutenir l’application des connaissances (Dobrow, Goel, et Upshur, 2004; Greenhalgh, Robert, Bate, MacFarlan, et Kyriakikou, 2005; Lomas, 1993; Rycroft-Malone, 2008). À ce chapitre, les organismes subventionnaires auraient un rôle déterminant à jouer en assurant les ressources financières nécessaires à la mise en place de ces stratégies.

D’autre part, la décision chez les partenaires et les organisations, d’utiliser les connaissances scientifiques serait en partie tributaire de la technologie disponible pour diffuser les connaissances produites (Dobrow et al., 2004; Greenhalgh et al., 2005; Lomas, 1993). Ainsi, la littérature souligne l’importance de soutenir la diffusion des résultats de recherche par des centres de transfert ainsi que divers médias (journaux, radio, télévision) qui sont complémentaires aux publications scientifiques et aux congrès. La mise sur pied de formations destinées à aider les chercheurs et les étudiants à communiquer adéquatement des résultats de recherche aux médias pourrait également être une stratégie bénéfique afin de favoriser l’application des connaissances.

2. Mobilisation des organisations

La mobilisation des organisations serait une condition cruciale pour le développement et l’application des connaissances. Cet élément, déjà souligné dans d’autres recherches, prendrait une emphase particulière dans le secteur des sciences humaines, sociales, arts et lettres (Hemmelgarn, Glisson, et James, 2006; Levesque, 2009; Proctor et al., 2007; Trocmé et al., 2009). D’abord, la mise en place d’une culture organisationnelle favorable au changement et réceptive à l’égard de la recherche favoriserait l’acquisition et l’application des connaissances scientifiques au sein des organisations (Dobrow et al., 2004; Dobrow, Vivek, Lemieux-Charles, et Black, 2006; Greenhalgh et al., 2005; Grimshawet al., 2001; Hemsley-Brown et Sharp, 2003). Cette réceptivité aurait, en ce sens, une influence importante sur la motivation des praticiens et des gestionnaires à acquérir les connaissances, à les comprendre et même à participer à leur développement.

Plusieurs études démontrent également qu’afin de favoriser l’application des connaissances, la mobilisation est fonction du leadership des organisations (Rogers, 1995; Zohar, 2002). Ce leadership favoriserait l’établissement d’une vision claire et partagée quant aux processus qui doivent être mis en place et aux rôles que chacun des acteurs doit jouer, ce qui favoriserait, par la suite, l’application des connaissances et l’atteinte de retombées au sein de l’organisation (Barratt, 2003; Nutley et Davies, 2001). Enfin, ce leadership maximiserait la cohérence et l’efficacité des stratégies mises en place afin de soutenir l’application des connaissances tout en contribuant à un positionnement clair concernant les objectifs de changements visés.

La mobilisation des organisations se traduirait également sous des aspects structuraux (Argyris et Schön, 1996; Werr et Stjernberg, 2003). Une planification efficiente de l’investissement de ressources (humaines, matérielles, financières) au sein de l’organisation serait un des éléments nécessaires afin de soutenir l’application des connaissances au sein des pratiques d’intervention et de gestion. Ces investissements pourraient, notamment, augmenter l’accessibilité aux connaissances scientifiques ou encore permettre une rétroaction sur l’atteinte des objectifs de changements visés suite à la mise en place de stratégies d’application des connaissances. Enfin, ces investissements pourraient également favoriser la formation du personnel afin de soutenir leurs compétences à utiliser les nouvelles connaissances.

3. Capacité des partenaires de la pratique

Outre la mobilisation des organisations, le soutien au développement et à l’application des connaissances serait également fonction de la capacité des partenaires à utiliser les connaissances. D’une part, la capacité des partenaires à utiliser les connaissances est augmentée par leurs habiletés. À ce niveau, l’application des connaissances serait augmentée lorsque les partenaires sont en mesure d'identifier leurs besoins en matière de connaissances (Dufault, 2004; Estabrooks, Floyd, Scoot-Findlays, O’Leary, et Gustha, 2003; Huberman, 1987) et d’évaluer la pertinence des connaissances produites pour leurs pratiques quotidiennes (Barratt, 2003; Dobbins, Ciliska, Cockerill, Barnsley, et DiCenso, 2002; Hemsley-Brown et Sharp, 2003; Rycroft-Malone et al., 2002).

D’autre part, cette capacité serait aussi influencée par leur réceptivité envers les connaissances scientifiques. Ainsi, plus les partenaires sont réceptifs, plus les avantages perçus d’utiliser des connaissances afin de guider leurs pratiques sont grands (Amara, Ouimet, et Landry, 2004; Dobbins et al., 2002; Rogers, 2003). Afin de favoriser cette réceptivité, la recherche montre l’importance de soutenir le sentiment d’efficacité des partenaires et de s'assurer que ceux-ci disposent du pouvoir nécessaire afin de changer leurs pratiques (Meijers et al., 2006; Suter, Vanderheyden, Trojan, Verhoef, et Armitage, 2007).

4. Mobilisation de l’équipe de recherche

La mobilisation des équipes de recherche est complémentaire à celles des organisations. La mobilisation procède, d’abord, par l’investissement de ressources (humaines, matérielles, financières) permettant de mener à terme les projets académiques, mais également de soutenir l’application des connaissances au sein des milieux de pratique (Orlandi, 1996; Rogers, 2003). La planification de ces investissements serait, entre autres, facilitée par l’adoption d’un cadre réflexif éprouvé pouvant orienter les équipes de recherche dans leurs choix de stratégies et de ressources à déployer (Gervais et Chagnon, 2010; Estabrooks et al., 2008; Lapaige, 2010). L’élaboration d’un tel cadre réflexif permettrait de mieux orienter les stratégies et les ressources déployées et d’en augmenter leur efficacité.

5. Capacité des chercheurs

Les déterminants liés à la capacité des chercheurs ont trait aux habiletés des chercheurs et à leurs attitudes. L’importance accordée par les chercheurs à l’application des connaissances, ainsi que leurs habiletés à adapter les connaissances qu’ils produisent en fonction des besoins des partenaires seraient deux éléments liés à la capacité des chercheurs (Baumbusch et al., 2008; Landry, Amara, et Lamari, 2001). Ces caractéristiques personnelles des chercheurs influenceraient la réceptivité des partenaires envers les connaissances produites (Baumbusch et al., 2008; Rogers, 2003; Rycroft-Malone et al., 2002).

Outre ces attributs sur le plan des attitudes, les efforts déployés par les chercheurs afin de diffuser, mettre en contexte et valoriser les connaissances produites sont une autre condition nécessaire à l’application des connaissances (Graham et al., 2006; Rogers, 2003). À ce propos, la littérature souligne que ces efforts seraient primordiaux afin de mettre en œuvre des stratégies visant à soutenir à long terme l’application des connaissances dans les milieux de pratique (Cousins et Leithwood, 1993; Dagenais, 2006; Hemsley-Brown et Sharp, 2003).

6. Relations entre chercheurs et partenaires de la pratique

En plus des caractéristiques des chercheurs, la littérature souligne l’importance des relations entre chercheurs et partenaires de la pratique afin de soutenir l’application des connaissances (Amara et al., 2004; Landry et al., 2001; Belkhodja, Amara, Landry, et Ouimet, 2007; Chagnon et al., 2008; Hemsley-Brown et Sharp, 2003; Graham et al., 2006). Il a en effet été démontré que des expériences de collaboration profitables avec des chercheurs améliorent les attitudes des partenaires à l'endroit de la recherche, et qu’elles augmentent la possibilité que ces partenaires s’engagent à nouveau dans une démarche d’application des connaissances (Hemsley-Brown et Sharp, 2003; Huberman et Thurler, 1991; Orlandi, 1996). Les relations entre chercheurs et partenaires de la pratique peuvent se structurer selon que les interactions sont formelles (dans le cadre des activités visant à mener à terme le projet de recherche) ou informelles (se produisant en dehors du cadre des activités liées à la recherche). Deux aspects favoriseraient l’application des connaissances : la fréquence des échanges formels et informels entre chercheurs et partenaires de la pratique et la mise en place d’opportunités et de mécanismes permettant d’assurer ces échanges (Belkhodja et al., 2007; Dagenais et Janosz, 2008; Jbilou, Amara, et Landry, 2007; Ouimet, Landry, Amara, et Belkhodj, 2006; Palinkas et al., 2008).

7. Attributs des connaissances

Les attributs des connaissances produites influencent leur potentiel d’utilisation (Estabrooks et al., 2003; Hancock et Easen, 2004; Kramer et Cole, 2003; Lomas, 2000). Quatre attributs sont particulièrement associés à une meilleure utilisation des connaissances, soient la pertinence en fonction des besoins, l’adaptabilité des formats, l’adéquation des délais de production et de diffusion ainsi que la validité. La pertinence des connaissances produites, telle que perçue par les utilisateurs, peut être augmentée lorsqu’il y a une adéquation entre le type de savoirs disponibles et les besoins, pratiques et valeurs des milieux de pratique (Estabrooks et al., 2003; Hancock et Easen, 2004). La production de connaissances dans des formats et des délais adaptés aux besoins des milieux de pratique permettrait également d’en augmenter leur utilisation (Lomas, 2000). Enfin, en plus des attributs précédents, afin d’être perçues comme fiables par les partenaires et utilisées dans les pratiques cliniques et de gestion, les connaissances produites devront respecter les standards de validité scientifique (Kramer et Cole, 2003; Lomas, 2000).